⊹ light up the world

On se demande parfois ce qu’aurait été notre vie si on était né ailleurs, dans une autre famille, à une autre époque. On se demande si on aurait été plus heureux, plus aimé, plus riche, plus beau, quel genre de personnes on aurait côtoyé. On se surprend à rêver d’une existence à laquelle on n’aura jamais droit, une existence illusoire qu’on pense vivre la nuit dans nos songes les plus secrets. On ferme les yeux, on se coupe du monde dans lequel on évolue pour devenir souverain d’un univers fantastique dans lequel on contrôle tout, dans lequel on a tout ce que l’on veut. Alors le matin on ouvre de nouveau les yeux et on subit notre existence avec tous les défauts qu’elle comporte, on se demande pourquoi nous et pas un autre. Pourquoi on vit ? Pourquoi on meurt ? Pourquoi on rit ? Pourquoi on pleure ? Pourquoi, pourquoi, tant de questions auxquelles on ne répond jamais. Toute sa vie on part en quête d’un grand "Peut-Être", on se demande si on a fait les bons choix, si malgré le fait qu’on n’ait pu choisir l’endroit d'où l'on vient, on peut quand même choisir où l'on va. L'humanité souffre et je souffre avec elle.

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« Priam, tu ne te rends pas compte que ça te rend dingue ?! Tu n'as plus que ça en tête, tu ne fais même plus attention à moi ! » Encore des reproches. Il n'en pouvait plus, ça le rendait dingue. Il releva ses yeux bleus vers ceux de son épouse, emplis de larmes. Combien de fois avait-il entendu ces mots ? Elle le menaçait ensuite de partir, de l'abandonner, mais elle ne le faisait jamais. Parce qu'elle avait autant besoin de lui qu'il n'avait besoin d'elle, sinon plus. « Dis quelque chose ! Je n'en peux plus que tu te taises dès que je te parle ! »cria-t-elle en tapant du pied, au bord de l'hystérie. Un soupir passa la barrière de ses lèvres tandis que Priam consentait à ouvrir la bouche. « Et quoi ? Qu'est-ce que tu vas faire, hein ? Tu vas t'en aller ? On sait très bien que tu seras à la maison demain ! » répondit-il d'une voix grondante. La jeune femme se figea et rougit en détournant le regard. Quand cet amour avait-il commencé à se désagréger ? Sans doute quand Priam avait commencé à s'intéresser à ces foutus gangs. Quand il avait découvert que son frère cadet, Miles, en avait intégré un. Ce jour-là, ses beaux rêves d'avenir partagés avec la femme qui se tenait pantelante devant lui avaient été réduits à néant. Ils voulaient un enfant, faire un voyage autour du monde. Priam, persuadé de monter rapidement en grade, avait accepté qu'elle arrête de travailler. Mais aujourd'hui, leur bonheur n'avait plus aucun sens. Tout s'effondrait, s'effritait, s'envolait, en même temps que l'amour qu'ils se vouaient depuis de nombreuses années. « Cette fois, je me barre pour de bon ! » répondit-elle fièrement en tournant les talons pour quitter la cuisine. La chaise vola dans un bruit assourdissant, mais ça ne suffit pas à retenir sa femme comme bon nombre de fois auparavant. C'était à présent la fois de trop. Il la bouscula dans le couloir et fit tomber son sac de voyage au sol en silence, avant de disparaître dans la chambre. Elle n'avait qu'à partir sur ça lui chantait, il était épuisé de devoir supporter ses jérémiades, ses reproches, qu'elle répète à longueur de journée à quel point leur couple battait de l'aile. Priam avait parfaitement conscience que c'était entièrement sa faute, et chaque jour passé aux côtés de ce visage trop beau pour être triste ne faisait qu'accroître la culpabilité qui rongeait cet organe dans sa poitrine qu'on appelait coeur. Entendre de la bouche de l'épousée qu'il était une déception de chaque instant et qu'elle ne le reconnaissait plus était d'autant plus douloureux. Ne pouvait-elle pas comprendre que sa cause était juste ? Visiblement non, puisqu'elle venait bel et bien de le quitter. Le divorce fut long, difficile, douloureux, et Priam regarda le nouveau mec de son ex passer son bras autour de ses épaules à la sortie du tribunal pour l'emmener loin de lui. C'était fini. Son éternité  prenait fin.

« On ne bouge plus ! » lança-t-il en attrapant le poignet de la jeune femme qu'il tordit dans son dos. Elle grogna, l'insulta mais se laissa faire pour ne pas qu'il lui fasse plus mal encore. Priam l'appuya contre l'aile de sa voiture de police pour lui passer les menottes. « Votre mère ne vous a jamais appris qu'on traitait les femmes comme des princesses ? » railla-t-elle en lui assenant un coup de pied dans le tibia. Le flic lâcha un juron. « T'as quoi, dix-sept ou dix-huit ans et tu traînes avec un gang, tu tagues les murs, tu tapes sur des gens, tu t'habilles comme une pute et tu te revendiques princesse ? Laisse moi rire. » Elle, ça ne la fit pas rire du tout. « Vous n'êtes pas obligé de me menotter, je ne vais pas sauter de la voiture en route. » cingla la demoiselle, et bêtement Priam consentit à la laisser entrer ainsi dans la voiture, sans garantie qu'elle ne lui sauterait pas dessus pour le frapper lui aussi. Il fallait s'attendre à tout, avec les membres d'un gang. « Au fait, j'ai vingt-deux ans, pas dix-sept. » L'homme l'observa dans son rétroviseur. Elle était d'une beauté incroyable, fascinante, hypnotisante. La savoir majeure était un soulagement,  Priam n'aurait pas supporté,  en plus de toutes les tares qu'il accumulait déjà,  de trouver une fille mineure désirable. « Si je couche avec vous, vous me libérez ? » Il manqua de s'étouffer. Avait-il rêvé ou venait-elle de dire ce qu'elle avait dit ? Il la foudroya du regard dans le rétroviseur. « Arrête d'aggraver ton cas fillette, et par pitié,  tais-toi. Je ne supporte plus ta voix de crécelle.  » A son plus grand plaisir, elle se tut bel et bien. Totalement. Jusqu'à ce que Priam se rende compte, à un feu rouge, que le voyou aux longs cheveux bruns et aux yeux trop bleus n'était plus dans la voiture. Elle venait de se tailler, et il ne l'avait même pas remarqué ni même entendu, faute au radio émetteur qui avait attiré son attention et à son ridicule oubli de fermer les portes arrières. Priam donna un coup brusque sur le volant qui déclencha le klaxon, avant d'enfouir son visage dans ses mains. Il traquait cette fille depuis des semaines. Maintenant qu'il mettait la main dessus, elle lui échappait. C'était toujours comme ça. Il ne comprenait pas pourquoi il s'acharnait à  la poursuivre elle alors que sa véritable cible était son frère, Miles. Les paroles de son ex lui revinrent en mémoire : peut-être qu'elle n'avait pas tort en disant qu'il était fou. Priam devait arrêter de rêver de ces yeux ceruléens, de cette bouche charnue, de ce ton provocateur qu'il execrait autant qu'il le chérissait.

Les Holden. Une famille bien étrange. Monsieur était  producteur de cinéma, madame artiste peintre et les fils souffraient d'un écart d'âge  non négligeable  de onze années. Ça aussi c'était  un truc d'artiste, une forme de libération, sûrement pour faire parler d'eux. Artiste, tout ce que Priam n'était pas. Il voyait ses parents bien peu souvent, son frère encore moins. Ils vivaient dans des mondes trop différents, les déceptions avaient été  fréquentes  et trop importantes. Aujourd'hui, leurs conversations tournaient uniquement autour du travail et du divorce de Priam. Maman ŕépétait qu'il avait maigri, papa surveillait de près sa consommation d'alcool. S'il avait pu divorcer de famille, il l'aurait volontiers fait aussi.